L’abbaye a été fondée en 655 par Germer, seigneur de Wardes, conseiller du Roi Dagobert devenu moine. Créée selon la règle de Saint-Benoît, l’abbaye sera bénédictine jusqu’à la réforme mauriste au XVIIème siècle. Ravagée par les Normands en 851 et au début du Xème siècle, elle est relevée à partir de 1132 sous l’impulsion de l’Abbé Eudes II. De style roman et de transition vers le gothique primitif, l’abbatiale est demeurée architecturalement très pure jusqu’à nos jours. Le choeur fut consacré en 1144.
Sous l’abbatiat de Pierre de Wessencourt (1259-1272) est entreprise la construction d’une chapelle gothique rayonnant, dédiée à la Vierge Marie; de treize ans la cadette de la Sainte-Chapelle de Paris, elle présente avec elle beaucoup de ressemblances; c’est une splendeur.
Pendant la Guerre de Cent Ans les deux tours qui encadraient son portail occidental sont détruites par les troupes anglaises et bourguignonnes, entraînant l’effondrement de la première travée de la nef et un affaiblissement durable de la structure. Ce n’est qu’au XVème siècle, à l’initiative de l’abbé Guy de Villiers de l’Isle-Adam qu’une façade occidentale est recréée; des arc-boutants et des contreforts viennent consolider la voûte et le transept.
En 1644 l’abbaye entre dans la congrégation de Saint-Maur; elle demeurera mauriste jusqu’à la Révolution. Elle est alors vendue comme bien national, les bâtiments conventuels sont détruits mais fort heureusement ni l’abbatiale ni la « Sainte-Chapelle », car elles servaient d‘église paroissiale. La municipalité est, depuis, propriétaire de l’église, les restes du cloître et du couvent relèvent d’un domaine privé. L’abbaye est classée Monument Historique depuis 1840.
À l’instar de nombreux autres sites monastiques, l’abbaye de Saint-Germer-de-Fly et le bourg qui l’entoure sont intimement liés au personnage de saint Germer. Hélas les origines du monastère sont mal connues et, face aux lacunes documentaires, l’histoire doit souvent céder la place à la légende pour faire la connaissance du saint fondateur. Germer, issu de l’aristocratie franque, est né dans la première moitié du VIIe siècle. Conseiller à la cour des rois francs, il abandonne tous ses biens et se retire à l’abbaye de Pentalle-sur-Risle (aujourd’hui Saint-Samson-de-la-Roque en Normandie). À l’issue d’une retraite érémitique, il reçoit la prêtrise de saint Ouen, alors évêque de Rouen, puis fonde un monastère à Flay ou Fly qu’il dédie à la Sainte-Trinité, La Vierge, saint Jean Baptiste et saint Pierre. Il en devient abbé et y termine sa vie à la fin du VIIIe siècle.
Environ deux siècles s’écoulent sans que l’on dispose de sources sur la destinée de la fondation de Germer. Durant la période carolingienne, le monastère profite de l’énergie de l’un de ses abbés, Anségise, proche conseiller de Charlemagne, et connait un premier essor. Anségise entreprend une campagne de restauration de l’abbatiale et des bâtiments conventuels. C’est également durant son abbatiat que la règle de saint Benoit est adoptée. De la même manière que pour la fondation primitive, nous ne savons rien de l’emplacement du monastère carolingien. Les incursions normandes des années 850 portent un coup d’arrêt au développement de l’abbaye. La communauté est vraisemblablement dispersée, ses biens confiés à l’évêque de Beauvais en 863 tandis que les reliques du saint fondateur sont emportées dans la cité épiscopale.
Après plus de deux siècles d’interruption de la vie conventuelle, celle-ci reprend en 1036 sous l’impulsion de l’évêque de Beauvais, Dreu, qui mène une véritable politique de création et de restauration monastique dans son évêché-comté. Elle se concrétise à Saint Germer par l’érection d’une nouvelle abbatiale et de bâtiments conventuels qui se fixent sur le site que nous connaissons aujourd’hui. Il s’agit d’un édifice d’architecture romane qui ne doit pas être confondu avec l’abbatiale actuelle dont il semble assez différent selon la description qu’en donne Guibert de Nogent, moine à Saint Germer au début du XIIe siècle.
Cette seconde restauration de l’abbaye de Saint Germer inaugure une période de prospérité pour l’abbaye marquée par deux réalisations architecturales majeures qui en fait un monastère de premier plan du second Moyen Âge. Ainsi, dès la première moitié du XIIe siècle, la construction d’une seconde abbatiale (l’édifice actuel) est entreprise sous l’impulsion de l’évêque de Beauvais Eudes II, par ailleurs ancien abbé de Saint Germer. La translation d’une des reliques du saint fondateur, conservées à Beauvais depuis le IXe siècle, semble à l’origine de l’édification d’une abbatiale plus spacieuse destinée à accueillir les nouveaux pèlerins. La construction, d’après les recherches de Jacques Henriet, s’articule en deux campagnes dont la première débute en 1132 ou 1133. Elle comprend l’érection du chœur, du transept ainsi que de trois travées orientales. La seconde campagne, entreprise après 1170/1175, marque l’achèvement de l’édifice avec l’élévation de cinq travées supplémentaires ainsi que du massif occidental. La consécration de l’édifice intervient probablement au tout début du XIIIe siècle sous l’épiscopat de Philippe de Dreux. L’abbatiale concentre un certain nombre d’innovations techniques tels son chevet à tribune ou encore le voutement d’ogives du déambulatoire et des chapelles rayonnantes.
La construction du nouveau sanctuaire, particulièrement adapté à l’accueil des pèlerins, initie une nouvelle période de prospérité marquée par de nombreuses donations. À la fin du XIIIe siècle, le monastère jouit d’un temporel conséquent étendu à la Normandie et à l’Angleterre. Moins d’un siècle après l’édification de l’abbatiale, la mise en chantier de la chapelle de la Vierge, commanditée par l’abbé Pierre de Wessencourt (1259-1272) pour accueillir une nouvelle relique de saint Germer, signe l’apogée de l’abbaye. La chapelle de la Vierge, de style gothique rayonnant, témoigne de la diffusion du style de cour au cœur de l’âge d’or capétien. L’édifice, élevé rapidement entre 1259 et 1266, présente des similitudes avec la chapelle de la Vierge de Saint-Germain-des-Prés, œuvre de Pierre de Montreuil. C’est pourquoi Laurent Lecomte l’attribue à l’un de ses élèves : Jean Davi à qui l’on doit le portail des libraires de la cathédrale de Rouen et dont la rosace se superpose parfaitement à celle de la chapelle de la Vierge de Saint Germer. La vitrerie de l’édifice est originale et composite. Elle est constituée d’un exceptionnel corpus de vitraux du XIIe siècle, provenant de l’abbatiale, et de plusieurs cycles du XIIIe siècle aux influences multiples. Ainsi, on décèle dans les cycles de l’Enfance et de la Passion des traits propres aux ateliers parisiens tandis que les scènes de la vie de saint Germer sont à rapprocher d’autres cycles régionaux (vitraux de Saint-Jean-aux-Bois et de Belle-Eglise).
À cet âge d’or succède le temps des épreuves dès la fin du XIVe siècle. Les troubles de la guerre de Cent Ans touchent de plein fouet l’abbaye dans les années 1380. Les raids menés contre le monastère contraignent les moines à se réfugier au château du Coudray-Saint-Germer. Les dommages causés aux bâtiments sont importants : le massif occidental est abattu ce qui entraîne la fragilisation de l’abbatiale et l’effondrement de six travées de la nef et des voutes des tribunes.
Plusieurs campagnes de restaurations sont entreprises dont la plus connue est à mettre au crédit de Guy de Villiers de l’Isle-Adam, dernier abbé régulier (1502-1536). La façade reçoit le mur de briques que nous lui connaissons aujourd’hui tandis que les travées intactes de la nef sont pourvues de contreforts et d’arcs-boutants. Néanmoins, les revenus de l’abbaye diminuent tout au long du XVIe siècle et les troubles liés aux guerres de religion, qui atteignent la région de Gournay en 1592, bouleversent durablement la vie régulière de l’abbaye.
Alors moribonde en cette première moitié du XVIIe siècle, l’abbaye de Saint Germer rejoint la congrégation de Saint-Maur en 1644. Ces bénédictins sont à l’origine d’un puissant mouvement de réforme qui gagne peu à peu de nombreuses abbayes du royaume. Les Mauristes mènent à Saint Germer une double restauration spirituelle et matérielle. La vie monastique est réformée et étroitement liée aux préceptes de saint Benoit. En outre, de nombreuses réparations sont entreprises sur les bâtiments conventuels. L’intérieur de l’abbatiale est blanchie, le chœur est pourvu de stalles, les six travées occidentales de la nef, tombées pendant la guerre de Cent Ans, reçoivent des voutes factices en bois. Enfin, la croisée des transepts est coiffée d’un campanile.
Déclaré bien national, le monastère est vendu en 1792. Alors que les bâtiments conventuels sont abattus, l’abbatiale et la chapelle de la Vierge, en devenant églises paroissiales, échappent quant à elles aux destructions. Néanmoins l’abbatiale, fragilisée dans sa partie nord, doit subir une reconstruction du transept et du bas-côté au début du XIXe siècle. Les deux édifices sont classés monuments historiques en 1840. Paradoxalement, ce nouveau statut a peu d’effet dans l’immédiat et l’inspecteur général des monuments historiques Émile Boeswillwald décrit une abbatiale à l’abandon lors de ses visites d’inspection. Son successeur Prosper Mérimée va plus loin et envisage la destruction de l’édifice. La chapelle de la Vierge bénéficie quant à elle d’un programme de restauration complet entre 1852 et 1863. Depuis la Première Guerre mondiale, de nombreux travaux de restauration ont été entrepris. Ils se poursuivent encore aujourd’hui sous l’impulsion de la municipalité et des amis de l’abbaye de Saint-Germer-de-Fly.
Julien FLAMENT
Doctorant contractuel
Orientations bibliographiques :
- Besnard, A. 1913. L’Eglise de Saint-Germer et sa Sainte-Chapelle. Emile Lechevalier éd., Paris.
- Henriet, J. 1985. « Un édifice de la première génération gothique : l'abbatiale de Saint-Germer-de-Fly ». Bulletin monumental, vol. 142, pp. 93-142.
- Grodecki, L. 1996. « Les vitraux du XIIe siècle de Saint-Germer-de-Fly ». Le Moyen Âge retrouvé, L. Grodecki (ed.), Flammarion, Paris.
- Bonnet-Laborderie, Ph.; Lecomte, L. et Brunet-Lecomte, S. 1997. « Deux chefs-d'œuvre l'art gothique : L'église abbatiale et la « Sainte-Chapelle » de Saint-Germer-de-Fly ». Bulletin du Groupe d’étude des monuments et œuvres d’art de l’Oise et du Beauvaisis (GEMOB), n080-81.